La Toute Puissance

Repris sous diverses formes dans notre monde moderne, le concept prend son origine dans les monothéismes occidentaux. Dans les autres systèmes de pensées, les différents dieux et entité sont puissantes, magiques, mais aucun d'eux n'est tout puissant. Chacun a des caractéristiques, pouvoirs et limitations qui lui sont propres. C'est dans le judaïsme et ses héritiers chrétiens et musulmans que la notion de Toute Puissance se développe, autours du concept de Dieu Unique. Dès les juifs, Tout-Puissant, (Adonaï) est un des qualificatifs du Dieu Non-nommable. Ce qualificatif lui est resté chez les chrétiens et les musulmans.

Penseur et Créateur du monde, ce Dieu n'est pas limité par sa création. Il crée le monde dont il fait ce qu'il veut, indépendamment de ce qu'il a lui-même établi. Cette notion de limitation, et d'auto-limitation est fondamentale pour le concept de toute puissance. C'est d'ailleurs par elle qu'apparaissent les premières critiques du concept de divin, argumentant qu'un être tout puissant, ne peut exister. Qu'il crée un élément qui le limite ou qu'il ne puisse le créer, la toute puissance n'est pas possible. Heureusement pour les monothéisme, Dieu n'est pas un Être de matière à proprement parler. Mais la nature de Dieu ne relève pas de cette discussion.

Ainsi pendant plusieurs siècles, l'humain a évolué dans l'ombre de la toute puissance divine. Joué du destin, soumis à la prédestination, et bien faible par rapport à une nature indomptée, l'être humain vit dans la conscience de l'impossible et de ses propres limites.

La science et la technologie viennent changer la donne. Petit à petit, la technologie vient l'aider, lui apporter des possibilités d'actions plus importante, et surtout une sécurité face à cette réalité si hostile. Peu à peu il devient plus sûr de lui et apprend à dominer la nature. Il s'approprie le concept de Toute Puissance par l'intermédiaire de la technologie. Car s'il y a un siècle toute nouveauté annoncée ou réalisée était présentée comme "magique", maintenant elles sont vu comme technologique. Pour autant, les peurs et espérances sur ces nouveautés sont les mêmes.

A cette même époque, les premiers théoriciens de la psychologie intègrent ce sentiment de toute puissance comme faisant intrinsèquement parti de lui. A cette époque, Nietzsche développe le concept de volonté de puissance. A la différence de la volonté d'être le meilleur ou le premier, la volonté de puissance existe chez Nietzsche pour elle-même. C'est une volonté déconnectée de besoin réel ou d'impératifs sociaux. Elle est volonté de puissance pour elle-même. De la même manière, ce concept est repris par les premiers psychothérapeutes pour exprimer les premiers stades de développement chez l'enfant.

Dans l'héritage des traditions du livre, Judaïsme, Christianisme, Islam, la notion du Dieu tout puissant est fondamentale. Cette notion a finalement été critiquée au Moyen-Âge par la question d'une pierre. Si Dieu est tout puissant, il peut créer un rocher qu'il ne peut pas soulever. Mais s'il ne peut pas soulever le rocher, c'est qu'il n'est pas Tout-puissant. Ce paradoxe, proposé pour la première fois par Averroès, puis repris par nombre de penseurs, se place dans la vision de l'époque où le Dieu tout puissant est omnipotent. Effectivement, aux yeux des personnes de l'époque, la toute puissance est omnipotence. Fondamentalement limité dans ses possibilités d'action, l'humain a conscience de son impuissance. Dans un même temps, il envisage l'absence de ces limitations dans ce Dieu qui les a créé à son image.

Mais comment relire ce paradoxe dans notre société où les possibilités sont plus larges et où nous découvrons ce sentiment de toute puissance ?

Outre la question de la nature du Dieu qui relève de la théologie, nous pouvons le résoudre en intégrant la limitation à la toute puissance. Dieu est tout puissant, non pas parce qu'il est omnipotent, mais parce qu'il est en mesure de créer sa propre limitation. Le fait que le rocher ne puisse-t-être soulevé par Dieu ne le limite pas, justement par ce que ce rocher est créé par lui-même. Omnipotent et portant en lui-même la possibilité de s'auto-limité, il devient tout puissant. C'est pour ça que le concept est absent d'autres spiritualité comme le chamanisme ou les polythéisme. Dans ces représentations du monde, les dieux, les entités ont chacunes leurs caractéristiques et leurs limites, qui ne viennent pas d'eux même, mais de leur nature.

Formulé autrement, le créateur de toute chose, peut les détruire aussi bien. Donc un rocher trop lourd pour qu'il le soulève ne serait qu'une limitation temporaire. Il pourrait aussi bien le détruire de la même manière. Le rocher n'est plus une limitation en soit. Mais l'expression d'un choix de Dieu à l'instant donné, celui de limiter sa puissance. Autrement dit de son discernement.